D’où ça se repère,
L’horizon de derrière

Par le dessin, j’arpente l’espace vide que le tracé laisse de côté.
Comment imposer du vide à la forme ? Il s’agit de trouver les gestes les plus précis et les
plus directs à tracer une forme première, le cerne qui délimite le vide. En
cherchant le plus petit déterminant, il s’agit de faire sentir un point
d’achoppement dans l’espace esthétique. Qu’il soit une ligne d’horizon ou une
balise dans l’espace, le dessin ou le volume n’est jamais le résultat conceptuel
d’une perspective mentale à chercher. Que ces gestes minimaux soient en lien
étroit avec celui qui les rencontre, dans un rapport matériel et empathique, est la
condition pour éprouver le vide que les formes cernent.

Je tente par le dessin et par des volumes en papier essentiellement, à
border ce qui n’est pas la surface. Je dessine le littoral sur lequel nous arpentons
la vacance de l’horizon, dans une perspective non géométrale mais subjective. Je
trace certaines limites pour l’espace projectif, en cherchant une moindre
direction. Je dessine sur l’écran, dans la distance entre le regardeur et l’horizon
possible après la surface.

Tantôt les gestes se veulent minimaux, pour ce qui pourrait être une ligne
de partage de la surface-plan, proche de la recherche du vide médian qui sépare
le plein-haut-montagne du plein-bas-rivière dans la peinture chinoise
traditionnelle, tantôt la forme s’oriente de l’ornemental. J’orne le vide. Le motif
décoratif répétitif nous pousse au-dehors du plan, parce qu’il est anhistorique, il
ne donne aucune prise au récit biographique par lequel nous cherchons à
expliquer notre rapport au monde. Je ne cherche pas à créer des formes
minimalistes, dans le sens que Donald Judd accordait au terme de « specific
object » qui exclurait toute projection sensible, mais au contraire, j’amène le
spectateur à aborder le littoral et la ligne d’horizon que je lui présente, comme
une invitation à inventer un récit, que le vide cerné soit l’occasion d’un espace
projectif pour continuer à voir au-delà de la matérialité du monde. Le cerne, la
balise sont là pour donner le point d’ancrage au regard.

La fragilité est nécessaire au rapport esthétique que je veux créer. Je tiens
à ce que les formes « rougissent », qu’elles entrent en sympathie avec le
spectateur (le théoricien Ralph Ubl emploie ce terme benjaminien pour
distinguer ce qui sort de derrière la surface peinte quand le regard se fait
révélateur du tableau, du plan cartographique qui indique par le signe notre lien
concret au monde). Les gestes sensibles doivent contenir une part fantomatique,
dirigés au-dehors de la surface. Les techniques que j’utilise répondent à cette
fragilité. La présence des formes doit être ressentie comme un caprice. Pour
ouvrir le regard, je ne dois pas concentrer les formes, elles doivent se diffracter,
leur caractère doit laisser les voies perspectives ouvertes. Ce qu’elles campent,
c’est une position de voile qui révèle le désir étoilé qu’elles contiennent.